mercredi 16 mai 2012

L’Amérique ou le « terroirisme » ordinaire


A l’heure où toute la Nation américaine prend réellement la mesure de son problème d’obésité, les restaurants étiquetés bio et locavores fleurissent à travers tout le pays. Il s’agit d’un luxe qu’encore beaucoup de personnes ne peuvent s’offrir mais c’est aussi la volonté d’un pays d’aller à la rencontre de son terroir.


Lundi 14 mai et mardi 15 mai dernier, la chaîne américaine HBO, plutôt habituée aux séries telles que Sex in the City, a diffusé un documentaire en quatre parties intitulé The Weight of the Nation (« Le poids de la Nation »). Le sous titre de ce documentaire est clairement évocateur de la situation sanitaire dans laquelle se trouve les Etats-Unis,  «To win, we have to lose » («pour gagner, nous devons perdre »). Plus d’un américain sur trois serait en situation d’obésité. Les enfants seraient de plus en plus durement touchés au point que les professionnels de santé envisageraient que cette génération puisse être la première à connaître une espérance de vie plus courte que celle de leurs parents. La lutte contre l’obésité est l’un des chevaux de bataille de Michelle Obama, la femme du Président américain Barack Obama. Depuis quatre ans que le couple occupe la Maison Blanche, Michelle a multiplié les interventions télévisées pour promouvoir le sport comme moyen de lutter contre l’obésité infantile. Cette pandémie est l’un des pires désastres sanitaires outre atlantique. Selon une étude réalisée par l’Université Duke de Caroline du Nord, le coût médical des évolutions de l’obésité sur les vingt prochaines années pourraient s’élever à 550 milliards de dollars.


Sur le Vieux Continent c’est à peu près l’image que l’on se fait de l’Amérique et de sa prétendue mal bouffe. Des fast-food à tous les coins de rue, une culture gastronomique absente et un dédain pour la « vraie » cuisine. L’Etat de Californie est en passe de voter une loi interdisant la vente de foie gras à partir du 1er juillet prochain. Cette mesure a déjà été prise par la ville de Chicago en 2006. Comme au temps de la Prohibition avec l’alcool, cette mesure eut pour conséquence la vente de foie gras sous le manteau. Et comme pour l’alcool au temps de la Prohibition, le foie gras n’a jamais connu autant de succès. Voilà près de quinze ans qu’a commencé le bras de fer économique entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Européenne sur l’exportation des produits alimentaires. Face au refus de l’Union d’ouvrir son marché au bœuf américain traité aux hormones, les Américains décidèrent de surtaxer certains produits européens comme le foie gras, la moutarde ou le roquefort ce qui valut alors l’explosion médiatique du militant et porte parole de la Confédération Paysanne, José Bové. Devenu le symbole de la lutte paysanne et figure du mouvement altermondialiste, José Bové représente pour beaucoup la lutte contre la mondialisation et « l’américanisation » du goût par son célèbre démontage du McDonald de Millau. Or bien souvent l’amalgame est fait entre lutte d’intérêt économique et véritable culture du goût. Le véritable combat de José Bové ne se fait pas contre l’Amérique en tant que telle mais contre les mesures, directives et réglementations qui cloisonnent et limitent l’exportation des produits agricoles français ou européens. La posture médiatique dans laquelle a été placé ce combat a pu renforcer l’image d’une Amérique dénuée de production agricole locale et à échelle humaine. 


On trouve pourtant sur le territoire américain une multitude d’acteurs du monde agricole qui agissent pour une production locale et durable. Les scandales alimentaires des années ‘80 et ‘90 ont vu émerger une nouvelle catégorie de consommateur, celle des défenseurs d’une alimentation saine. Ce mouvement est indépendant et hétéroclite. Il n’est pas fédéré autour d’une association nationale, il est composé de groupements locaux. La ville de New York est l’un des symboles de ce mouvement émergent. Au sein de la mégalopole, on a vu émerger depuis quelques années des jardins et serres agricoles en pleine ville. Certains boroughs comme Brooklyn ou Long Island ont été le théâtre d’un engouement pour une production agricole locale. La physionomie de ces quartiers composés de maisons avec jardins, d’espaces encore vierges de construction ou à l’abandon a permis cet essor. Même le toit des vieux immeubles industriels sont reconvertis en potager dont la production est vendues aux restaurants du voisinage. L’un d’entre eux est l’Eagle Street Rooftop situé au cœur de Brooklyn et dont toutes les informations sont disponibles sur leur site : http://rooftopfarms.org/

Source : site  rooftopfarms.org


A l’image de ces initiatives locales, certains restaurants de New York se tournent vers une cuisine locavore, comprenez une cuisine dont les ingrédients sont issus d’une zone de production n’excédant pas quelques kilomètres du lieu de consommation (cette distance n’est pas fixe et va généralement de 100 à 250 kilomètres suivant les zones). Le restaurant Il Buco situé dans East Village sur l’île de Manhattan à New York fait partie de l’un de ces restaurants. Sa carte n’est pas exclusivement locavore mais elle a le mérite de présenter des produits issus d’une production agricole durable. A titre d’exemple on retiendra comme plat les joues de lotte de Montauk juste saisies, huile de pavot et huile d’olive au citron de Sorrente et jeunes pousses de roquette sauvage. Montauk se situe à l’extrême ouest de l’île de Long Island. Ce poisson est issu d’une pêche durable fournie par Sea2table, un réseau de petits pêcheurs locaux à travers l’Amérique (www.sea2table.com). Cette cuisine a forcément un prix qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Pour un plat comme celui-ci, il faut compter environ 16 US$.

 Ces différents exemples montrent qu’au pays du hamburger, il existe une forme de terroir auquel les américains sont attachés. Le mouvement d’une agriculture locale et durable est né en marge de l’engouement des américains pour les produits alimentaires issus de l’agriculture biologique. En effet beaucoup de distributeurs comme le leader mondial Wal-Mart proposent ce type de produits. Whole Foods est une chaîne spécialisée dans la vente de produits alimentaires bio qui comptent 300 enseignes à travers le pays. Cette frénésie de la demande entraîne une certaine mutation vers une agriculture intensive bio et renvoie donc à la question des limites du bio dans la grande distribution.

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